Une fuite mouvementée

Petite Menthe s'ennuyait dans la pouponnière, comme d'habitude. Elle n'avait rien à faire, aucune aventure à commencer, aucun suspens. Elle regarda quelques secondes les autres chatons jouer, puis détourna les yeux. *Comment peuvent-il se contenter de se chamailler ?* Pensa-t-elle en soupirant. La neige était tombée depuis hier déjà, et Petite Menthe s'émerveillait du manteau blanc qui recouvrait la forêt. Des flocons tombaient du ciel, tels des boules de coton apaisant l'atmosphère, qui en devenait sereine et calme. Mais elle, malgré cette étrange douceur, voulait toujours partir à l'aventure... Un instant d'inattention des reines, des regards tournés autre part, et hop ! La jeune boule de poils noir s'était faufilée dans le tunnel. Elle irait là ou ses pas la mèneraient. Chacune de ses petites pattes marquaient tout à tour la fraîche poudreuse qui recouvrait le sol. A chaque contact, elle s'empressait d'enlever sa patte à cause du froid de la neige. L'hiver... C'était magnifique. Elle arriva vers une rivière, gelée à cause de la saison. *Et si je m'amusai à glisser ?* pensa-t-elle joyeusement. Elle mit une patte, puis l'autre, sur la surface glissante qui recouvrait la cascade. Mais, soudain, la glace se fissura... Le craquement de plus en plus puissant fut trop rapide pour laisser à Petite Menthe le temps de s'échapper. Elle fut prise au piège... Ses yeux bleus s'emplirent de chagrin, et, à sa grande joie, elle aperçut une silhouette se dessiner dans la clarté de la neige.

Au secours ! Cria-t-elle, avec un dernier espoir.

Petite Menthe tentait tant bien que mal de rester en équilibre sur la parcelle de glace qui descendait la rivière, lorsque la silhouette se précisa, laissant apparaître un apprenti gris et blanc. Celui-ci, ayant entendu le cri perçant, se précipita pour aider la jeune femelle en détresse. Il fit un bond jusqu'à se trouver à côté d'elle, puis la prit dans sa gueule et fit un saut phénoménal pour atteindre la rive.

- Tu devrais faire attention ! Il ne faut pas traverser la rivière sans être sûr que la glace ne soit assez épaisse !

Petite Menthe baissa les yeux. Son poil noir immaculé était trempée par la glace et l'eau de la rivière. Elle ne savait que répondre à l'apprenti.


- Tu devrais être dans une pouponnière, ton clan ne surveille t-il pas ses chatons ?

Ne voulant pas dévaloriser son clan, la jeune chatte planta ses yeux teintés d'une lueur de courage dans ceux, bleu limpides, de son interlocuteur.

Si, mais... Je me suis enfuie alors qu'ils ne me surveillaient pas...

Une larme perla au coin de l'oeil bleu trouble de la jeune femelle. Transie, abattue, elle aurait bien voulu s'endormir sur place. Mais elle était sur un territoire ennemi, de l'autre côté de la rivière...

J-J'ai froid... Balbutia-t-elle.

La neige qui les entourai était presque plus haute que la chatonne, et celle-ci se demandait comment les flocons pouvaient tomber inlassablement sans se fatiguer. Elle était fatigué, et transie. Mais elle devait retourner dans le camp... La jeune femelle s'inquiétait en raison des représailles qui lui seraient faites lorsqu'elle rentrerait au camp... Elle essaya de ne plus y penser, puis dit vaillamment à l'apprenti qui lui avait sauvé la vie :



Merci de m'avoir sauvée, fit-elle. Mais mon clan m'attends... Il se fait tard et ce serait dangereux de traverser la rivière et mon territoire toute seule...Que faire ?

Elle bailla, lutant contre le sommeil qui l'emportait...

- C'est normal. N'importe quel Chat l'aurait fait. C'est immoral de laisser un chaton se noyer, et puis, le Code du Guerrier le dit en plus de tout cela; mais sa tu l'apprendras plus tard, quand tu seras apprentie...

Petite Menthe regarda son sauveur avec admiration. Elle attendait impatiemment de pouvoir apprendre les techniques de la chasse et de la guerre, et si c'était déjà fait, elle ne se serait sans doute pas échappée...

- Je ne peux pas te laisser ici toute seule. Tu ne pourras pas pas traverser la rivière, ni ton clan. Avec cette neige en plus et ta fatigue... Mais je suis ennemi à ton clan...

Ces paroles remémorèrent la situation à la chatonne noire, qui rêvait déjà d'être une grande guerrière. Elle tourna la tête à droite, puis à gauche : la neige s'était arrêtée, mais elle ne fondait pas. Il soufflait maintenant un vent d'enfer, glacé d'avoir balayé déjà plusieurs kilomètres de montagnes et de plaines enneigées.

- Je vais te ramener chez toi, ... euh... Tu t'appelles comment ?

Proposa gentiment Nuage du Loup. Petite Menthe, dont on commençait à apercevoir quelques flocons sur son pelage d'encre, répondit :

-Petite Menthe !

La chatte se laissa aller à la mélancolie, elle repensait à son passé... Elle vivait en domestique, et, ayant marre de se faire engraisser comme cela, s'était enfuie très jeune. Elle fut accueillie dans le clan de la Cascade, avec une mère adoptive. Mais elle n'avait jamais eu de véritable père... Soudain, une illumination la submergea :

-Dis, tu veux être mon papa ?

Proposa-t-elle, espiègle, avec son petit air mignon de friponne. Elle ne se souciait pas des rivalités entre les clans, d'ailleurs elle ignorait qu'il en existait. La rivière gelée continuait son cours, imposante, telle une barrière dans cette forêt enneigée.